Tuesday, September 07, 2010

Bon Voyage ...

- oui, pour toi, ma T.


"Tu connais cette maladie fiévreuse qui s'empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu'on ignore, cette angoisse de la curiosité? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C'est là qu'il faut aller vivre, c'est là qu'il faut aller mourir!

Oui, c'est là qu'il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l'infini des sensations. Un musicien a écrit l'Invitation à la valse; quel est celui qui composera l'Invitation au voyage, qu'on puisse offrir à la femme aimée, à la soeur d'élection?

Oui, c'est dans cette atmosphère qu'il ferait bon vivre, - là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité."

(…)

"Des rêves! toujours des rêves! et plus l'âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l'éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d'opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d'heures remplies par la jouissance positive, par l'action réussie et décidée? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu'a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble?

Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c'est toi. C'est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu'ils charrient, tout chargés de richesses, et d'où montent les chants monotones de la manoeuvre, ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers la mer qui est l'infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta belle âme; - et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l'Orient, ils rentrent au port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l'Infini vers toi."


(Charles Baudelaire, "L'invitation au Voyage." Petites poèmes en prose: le spleen de Paris)


"Você conhece esta doença febril que toma conta de nós nas frias misérias, esta nostalgia da terra que ignoramos, esta angústia da curiosidade? Existe uma região que se parece com você, onde tudo é belo, rico, tranqüilo e honesto, onde a fantasia construiu e decorou uma China ocidental, onde a vida é doce de se respirar, onde a felicidade está casada com o silêncio. É lá que é preciso ir viver, é lá que é preciso ir morrer!

Sim, é lá que é preciso ir respirar, sonhar e alongar as horas pelo infinito das sensações. Um músico escreveu O convite à valsa, quem é que irá compor O convite a viagem, que se possa ofertar à mulher amada, à irmã dileta?

Sim, é nesta atmosfera que seria bom viver - lá, onde as horas, mais lentas, contêm mais pensamentos, onde os relógios batem a felicidade com mais profunda e significativa solenidade."

(...)

"Sonhos! Sempre sonhos! E quanto mais ambiciosa e delicada é a alma, mais sonhos a afastam do possível. Cada homem traz em si sua dose de ópio natural, incessantemente secretada e renovada, e, do nascimento à morte, quantas das horas que contamos são repletas de gozo positivo, de ação bem-sucedida e decidida? Haveremos de viver, de passar algum dia para este quadro que meu espírito pintou, este quadro que se parece com você?

Estes tesouros, estes móveis, este luxo, esta ordem, estes aromas, estas flores milagrosas, são você. São ainda você, estes grandes rios e estes canais tranquilos. Estes enormes navios que eles carregam, todos repletos de riquezas, e de onde se elevam os cantos monótonos da manobra, são meus pensamentos que dormem ou que rolam sobre o seu seio. Você os conduz suavemente para o mar que é o Infinito, refletindo as profundezas do céu na limpidez de sua alma linda - e quando, cansados pelo marulho e cevados dos produtos do Oriente, eles voltam ao porto natal, são ainda meus pensamentos enriquecidos que voltam do Infinito a você."


(Charles Baudelaire, "O Convite à Viagem". Pequenos poemas em prosa: O spleen de Paris. Traduzido por Dorothée de Bruchard.)

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